lu sur http://www.gyneweb.fr/Sources/obstetrique/mdn.htm
Intégration
d'une Maison de Naissance
dans une maternité de CHU
Israël NISAND
Hôpitaux Universitaires
Strasbourg
L’accouchement dans l’espèce humaine précède de très loin l’invention des métiers qui aujourd’hui l’accompagnent. Certes, il faut en convenir, les résultats ne sont pas les mêmes aujourd’hui. Mais pour de très nombreuses raisons qui ne sont pas toutes, loin s’en faut, liées à la technique médicale. L’accouchement est sorti assez récemment du domicile familial et cette démarche s’est accompagnée d’une véritable hécatombe liée à la fièvre puerpérale. Au XIXe siècle, il valait mieux, à Paris, accoucher à domicile.
La sociologie de l’accouchement et les demandes des femmes soucieuses de bénéficier des meilleures chances, pour elles d’abord, mais aussi pour leur enfant depuis les années 50, a maintenu en France, l’habitude d’accoucher dans un espace médicalisé. Celui-ci devait donc répondre à ce qui faisait son succès, la sécurité. Il s’en est fort bien acquitté. La technique triomphante et fière se devait visible et salvatrice. L’ère pastorienne participait au message républicain en assurant l’ordre de la santé, en combattant le désordre de la maladie et de la mort, pour celui qui obéissait bien aux règles édictées par le pouvoir et ses médecins.
Ce mouvement s’est déroulé de manière parallèle à l’explosion des connaissances dans les domaines chirurgical et obstétrical. Les nouvelles techniques et procédures n’ont eu d’égale dans cette période que la production de nouvelles normes et de nouvelles contraintes. La recherche de la qualité zéro défaut en même temps que l’assurance donnée au public d’une maîtrise totale des évènements de la vie a produit un corpus de conduites à tenir appelées « bonnes pratiques » devenu si exubérant que même les « qualiticiens » ne s’en sortent plus entre les injonctions parfois contradictoires, et comment en serait-il autrement quand cela foisonne à ce point.
Un mouvement alternatif très développé dans certains pays européens, mené par des groupes féministes en Hollande, Grand Bretagne, Allemagne et Pays Scandinaves pousse actuellement à un retour aux sources fécondes et salutaires de la nature, qui est bonne mère comme chacun le sait. Ce mouvement est largement renforcé par la montée des idées écologistes au sein de la population.
Un regain d’accouchement à domicile fait suite dans certains pays dont la France fait partie et la justification de cette démarche repose sur la surdité des équipes hospitalières aux demandes montantes de certaines femmes de laisser l’accouchement se dérouler de la manière la plus physiologique possible. La seule réserve opposable par le corps médical réside dans la sécurité. On peut dire à ce sujet, sans grand risque de se tromper, que l’accouchement à domicile correspond à une régression en matière de santé publique contre laquelle le corps médical dans son ensemble se doit de lutter. Et la meilleure manière de le faire et de propager haut et fort la notion que désormais, l’hôpital et les cliniques entendent la demande du public d’un respect de la physiologie et même la promeuvent.
La maison de la naissance construite au CHU de Strasbourg au sein même de l’espace de la naissance (qui comporte de fait tous les moyens d’un niveau 3) est donc une structure où l’on peut accoucher sans aucun déploiement médical quel qu’il soit, mais en toute sécurité pour la mère et pour l’enfant.
Son fonctionnement repose sur la pratique des sages-femmes qui en ont écrit la charte de fonctionnement. Leur métier y est renouvelé : redonner ses compétences à la mère sans pour autant oublier qu’une pathologie peut survenir à tout moment de manière inopinée.
Les sages-femmes assument donc tour à tour (sans qu’aucune d’elle ne se spécialise dans la maison de naissance) les accouchements dans ce lieu quand il y en a (ceci permet de « pooler » l’activité des SF dans l’espace de la naissance). Le design est proche de celui d’une salle de pré travail où l’on aurait ajouté une baignoire et de quoi s’occuper du nouveau né à la naissance.
Les femmes sont préparées à cet accouchement autonome dans le lieu même où celui-ci se déroulera. Elles peuvent ainsi essayer de s’installer sur un Combi-track® qui permet d’accoucher aisément en position accroupie ou encore sur un lit Smith® qui permet l’accouchement en procubitus.
Tous les moments de l’accouchement ont été préparés avec les sages-femmes et retranscrits sur un document, le projet de naissance. On sait ce qui va se passer et l’on a donné son avis sur tout : nitrate d’argent dans les yeux, sonde oesophagienne, etc. Conformément à la loi, plus rien n’est imposé, tout est proposé, sauf en cas d’urgence, bien sûr.
L’analgésie est assurée par le bain chaud et l’acupuncture. Certaines sages-femmes vont se former à l’hypnose qui peut constituer un complément utile. Le vécu par les patientes et par les sages-femmes est excellent, d’autant qu’il s’agit pour les premières d’une démarche volontaire et pour les secondes d’un renouvellement de leur métier.
Les situations où les patientes sortent de la maison de la naissance pour regagner juste à côté la salle de naissance traditionnelle sont essentiellement représentées par la demande de péridurale. Quelques pathologies inopinées ont aussi mis fin au séjour en maison de la naissance, dont quelques césariennes pour souffrance fœtale aiguë. Le tracé cardiaque fœtal dix minutes par heure constitue donc la seule exigence médicale de sécurité du fœtus imposée et fort bien acceptée par les patientes qui en dehors de ce temps peuvent déambuler dans un lieu prévu à cet effet.
La maison de la naissance a d’ores et déjà modifié les pratiques des SF dans le reste de l’espace de la naissance en allégeant des procédures qui étaient devenues un peu automatiques dans un niveau 3.
Ce projet ne peut se concevoir qu’au sein d’une organisation d’ensemble où l’ensemble de la surveillance de grossesse est allégé. Une femme peut ainsi, à Hautepierre, faire suivre sa grossesse par une SF, accoucher en maison de naissance, séjourner autant qu’elle le souhaite dans le secteur des suites de couches physiologiques et partir précocement en HAD où elle sera visitée par une SF du service pour aider à la poursuite de l’allaitement et vérifier que la cicatrisation funiculaire et la croissance pondérale de l’enfant sont normales.
En bonne intelligence de santé publique, toutes les maternités devraient offrir ce service aux femmes qui le souhaitent, même si celles-ci ne sont pas légion. Une telle structure ne coûte rien et au contraire diminue le coût unitaire de l’accouchement. La maison de la naissance atténue l’agressivité médicale dans le reste de la structure d’accouchement et diminue probablement (cela reste à prouver et nous nous y emploierons) la survenue des complications iatrogènes dues à l’angoisse des patientes qui leur est souvent transmise par des professionnels un peu stressés.
Et cela aussi, on peut essayer d’y remédier.
Tout à y gagner et rien à y perdre…