ENFIN un magazine qui exprime excactement a quel point le parcours est difficile !
QUAND LA MEDECINE TUE L'AMOURPas facile d'avoir une sexualité épanouie quand il faut faire l'amour a heure fixe ou que la procréation se fait en éprouvette. Enquete et témoignages de couples mis a l'épreuve.
«Quand on se lance dans le projet d'un premier enfant on se dit que ça va etre quelque chose de magique, d'intime. Et puis on s'aperçoit que ça ne vient pas. La médecine entre dans notre vie et c'est tout de suite beaucoup moins roman-tique. » Emilie a 25 ans. En 2007, elle et son mari ont appris qu'ils souffraient d'infertilité. Es auront donc peut-etre un enfant. Mais par fécondation in vitro (FIV). Sans faire l'amour. Une idée vertigineuse. Pour atteindre ce but, ils acceptent que la médecine s'assoie sur le bord de leur lit et s'immisce dans leur sexualité. Difficile d'imaginer que ce ménage a trois, éprouvant le couple dans ce qu'il a de plus intime, ne va pas bouleverser autant les corps que les psychés. « Parce qu'elle dissocie sexualité et procréation, la procréation médicalement assistée (PMA) est un parcours redoutable. C'est la que l'on rencontre les souffrances sexuelles les plus arides », constate la psychanalyste Genevieve Delaisi de Parseval (1). « La création d'un enfant vient naturellement dans la sexualité des couples normalement fertiles : on arrete la contraception s'il y en a une, on fait l'amour en fonction de son
désir. L'enfant naît alors dans un bain d'amour, observe la psychiatre et psychanalyste Monique Bydlowski (2). La PMA sort la procréation de ce
contexte d'amour et de désir sexuel. Avec l'insémination, qu'elle soit intraconjugale ou avec donneur, on est dans l'artificiel. Et, avec la FIV, la procréation devient un acte quasi chirurgical. »
Comment des lors continuer a avoir une vie sexuelle « normale », libérée de l'obsession de la procréa-tion ? Comment conserver le désir intact quand, souvent, l'homme associe inconsciemment son infertilité a de l'im-puissance et que la femme se sent amputée d'une part d'elle-meme en ne parvenant pas a devenir mere et qu'elle voit son corps s'abîmer sous l'effet des lourds traitements de stimulation ? Avec, sous-jacente, cette terrible inter-rogation : a quoi bon entretenir une sexualité quand elle est stérile ? « C'est vrai que parfois on se demande a quoi ça sert de faire l'amour », reconnaît Emilie. Aveu déroutant dans une société qui, depuis l'avenement de la contracep-tion, célebre la sexualité libérée, dépourvue de toute contrainte. « Le désir d'enfant est tres présent dans les choix amoureux des femmes, qui cherchent toujours potentiellement un pere pour leur enfant, poursuit Moni-que Bydlowski. L'idée de l'enfant est tres importante dans toute relation sexuelle. Elle est consubstantielle a la sexualité, en particulier chez les femmes. Prendre le risque de faire un enfant, meme si l'on n'en veut pas, est un piment pour l'amour. Ainsi, il est fréquent que les couples engagés en PMA finissent par s'abstenir completement. La technique prend le relais, les corps sont mis a mal, le désir disparaît. »
Il est vrai que la PMA ne ménage pas les organismes, en particulier féminins. « Lors du traitement qui a précédé ma premiere FIV, j'ai fait de l'hyperstimulation ovarienne, raconte Emilie. J'ai eu des douleurs, des nausées, des vomis-sements... Bref, dans ces moments-la, vous pouvez imaginer que l'on n'a pas la tete a ça. » Sophie, 31 ans, souffre d'ovaires polykystiques. Avant meme de vouloir faire un enfant, elle savait qu'elle aurait besoin d'un coup de pouce médical « J'ai commencé par de la stimulation simple. A chaque début de cycle, j'avais des injections tous les jours, des prises de sang tous les deux jours, mon corps gonflait. J'ai pris 12 kilos en deux ans. Je me sentais moche, pas désirable. Sans parler
de l'absence de spontanéité imposée par la stimulation, qui suppose d'avoir des rap-ports programmés et concentrés autour de la date d'ovulation. »
Quel que soit le traitement suivi, la vie
sexuelle de ces couples est rythmée par le calendrier médical. « Tout est programmé. On devient des ordinateurs, réglés sur le planning des FIV, qui régit notre vie sexuelle, raconte Emilie. On peut rester des semaines sans faire l'amour, l'esprit occupé par les rendez-vous médicaux. » « Quand on a commencé la stimulation, on a pris les contraintes horaires comme un jeu, reprend Sophie. On se marrait a l'idée qu'a certaines dates il faudrait le faire. Et puis ce rythme imposé est devenu de plus en plus déprimant. On est passés a l'insémination et ça n'a rien changé. Meme si l'on n'a plus de rapports "a heures fixes", puisque tout se fait au laboratoire, on reste cadrés par le processus. Et on finit par avoir une vie sexuelle de merde. Alors, maintenant, on interrompt le traitement, pour garder des fenetres de spontanéité. » Pierre*, 37 ans, essaie d'avoir un enfant depuis un an avec sa femme, Josépha*, traitée en stimulation. Pour lui, faire l'amour a heure fixe est un tue-libido : « Quand vient la période d'ovulation, il arrive que j'aie un blocage. On doit faire l'amour dans les trente-six heures qui suivent l'injection du médicament. Josépha a beau essayer de me le cacher, je sais tres bien que c'est le moment et je suis paralysé par l'angoisse. » Marie*, 43 ans, mere d'une petite fille de 10 ans née par insémination, se souvient sans grand plaisir du test de Hiihner, qui impose un rapport a une heure pré-cise, avant de foncer au laboratoire pour vérifier l'accueil que l'utérus fait aux spermatozo^des. « A ce moment-la, la notion de désir est gommée. Notre corps n'est plus un objet de séduction mais de reproduction. Qui, en plus, ne fonctionne pas. Et ne pas etre capable de faire un enfant, c'est quelque chose de culpabilisant. » Parce que ces femmes se sentent, comme le confie Sophie, « pas entieres, inférieures et de fait moins désirables », elles s'interdisent de penser au plaisir. « Dans ces couples, l'un comme l'autre se sentent tel-lement coupables qu'ils se punissent en s'interdisant l'acces a la jouissance », confirme Sylvie Bunford, ancienne sage-femme et présidente de l'association AMPhore (3), qui vient en aide aux couples en parcours de PMA. Paradoxalement, l'impact de la PMA sur la sexualité reste un sujet assez négligé par le corps médical. « C'est un tabou, aussi bien chez les couples que chez les médecins. Ces derniers sont la avant tout pour s'occuper des gametes, pas de ce qui se passe dans le lit de leurs patients », note Genevieve Delaisi de Parseval. « La technicisation, l'hypermécanisation de la procréation médicalement assistée relegue les questions psy-choaffectives au second plan », déclare la sexologue Mireille Dubois-Chevalier. Sans renier la relative absence de dialogue autour de cette question, certains médecins soulignent que c'est un sujet délicat a aborder. « Nous l'évoquons lors de la premiere consultation, notamment pour savoir si les couples ont une activité sexuelle réguliere, décrit Juliette Guibert, gynécologue-obstétricienne, spécialisée dans la PMA a l'Insti-tut Mutualiste Montsouris a Paris. Ils n'osent pas parler de ça
frontalement. Ils n'attendent pas de leur gynécologue qu'il leur parle de libido. » Apres tout, les couples avec des problemes d'infertilité sont en demande d'assistance médicale a la procréation, pas a la sexualité. Les faire parler de leur vie sexuelle, c'est aussi exiger d'eux une mise a nu supplé-mentaire. « Les encourager a aller voir un psy peut etre mal interprété, met en garde Mireille Dubois-Chevalier. Cela peut les culpabiliser encore plus. » A l'image de cette phrase que tous ont entendue a un moment ou un autre de leur parcours : « Arretez d'y
penser, vous verrez, ça va venir ! » « Cela jette un discrédit sur leur plainte corporelle, comme si on ne reconnaissait pas leur infertilité comme organique », avance Juliette Guibert. « Certains couples me disent : "On savait faire l'amour avant ce projet d'enfant, pourquoi nous faudrait-il un sexologue désormais ?" » releve justement Sylvie Bunford.
Alors, comment les accompagner sans etre trop intrusif ? « En mettant a leur disposition des écoutants qu'ils contacte-ront s'ils le souhaitent », conseille Sylvie Bunford. En les encourageant aussi a ne pas se perdre l'un l'autre dans cette volonté dévorante de devenir parent. « Il faut les aider a trou-ver leur chemin, suggere Monique Bydlowski. Pour certains, cela passera par l'adoption. Pour d'autres, ce sera l'arret pur et simple de la PMA. Je suis frappée par le nombre de gens qui renoncent vite, tournent la page et reprennent une vie normale. Avec le recul, ils regardent les années de PMA comme un temps suspendu, comme si, a cette période, la vie s'était arretée. » CATHERINE ROBIN
( `) Les prénoms ont été modifiés.
(1) Auteure de .Famille a tout prix. (Seuil). (2) Auteure des= Enfants du désir.
(OdileJacob). (3) Site de l'association : www.amphore.fr
«Notre corps ni st
plus un objet
de séduction mais
de reproduction. La notion de désir
est gommée.
(Mairie, 43 mls)
LA PMA EN CHIFFRES
En 2007, il y a eu 122 056 tentatives de PMA par différentes techniques (insémination, FIV, transfert d'embryons congelés). 20 657 d'entre elles ont mené a des naissances. On estime que 1 couple sur 7 est amené a consulter un médecin au moins une fois pour une infertilité supposée et que 1 couple sur 10 suit des traitements pour remédier a son infertilité. (Source : Agence de la biomédecine)
184 ELLE.1 1 SEPTEMBRE 2009