La pratique dans les piscines au chlore n'est pas saine. Dix ans après, on
constate des lésions irréversibles. Et deux fois plus d'asthme et de
bronchites récurrentes.
ENTRETIEN
NCI 3 (trichloramine): gaz contaminant les piscines intérieures; toxique
respiratoire le plus concentré pour les enfants; il fut utilisé pour
blanchir la farine de pain dans les années 50; très réactionnelle, la
trichloramine est un irritant des muqueuses et voies respiratoires
comparable au chlore gazeux, si ce n'est qu'il agit plus profondément dans le poumon; gaz explosif». Directeur de recherches au Fonds national de la recherche scientifique (FNRS) et professeur à l'UCL, département de
toxicologie industrielle et médecine du travail, le Pr Alfred Bernard annonce d'emblée la couleur de son exposé intitulé «Risques de chloration en piscine pour les jeunes: données récentes». On se souvient en effet du grand retentissement des précédentes études mises à jour par ce scientifique. Les résultats qu'il nous dévoile à présent, dans le cadre du colloque «Environnement et maladies chroniques: un défi pour la santé
publique», sont à nouveau étourdissants.
En quoi consiste l'étude que vous avez menée entre 2002 et 2006 et dont les résultats vont bientôt être publiés?
Cette étude a porté sur 341 jeunes Bruxellois âgés de 8 à 12 ans, soumis à un questionnaire assez fouillé et à différents tests. Parmi eux, 41 avaient suivi des séances de bébés nageurs avant l'âge de 2 ans.
Quelle est l'observation la plus spectaculaire que vous ayez faite lors de cette étude?
Nous avons observé que, 10 ans après avoir été «bébés nageurs», pratique qui touche 15pc des petits Bruxellois, les enfants présentent des troubles de perméabilité, notamment des lésions cellulaires significatives, ou perte de l'ordre de 20pc des cellules de Clara.
Or il faut plusieurs années de tabagisme pour en perdre 20 à 30pc!
Ces lésions sont-elles irréversibles?
Il semble que oui. Il s'agit de cellules souches de l'épithélium
respiratoire, qui sécrètent certaines protéines anti-inflammatoires.
Logées dans les broncho-terminales, elles ont donc pour fonction de
protéger et de réparer les poumons. Ces cellules constituent une cible
privilégiée du tabac et manifestement aussi de la trichloramine.
A-t-on diagnostiqué de ce fait davantage d'asthme ou d'affections
respiratoires chez ces enfants, ex-bébés nageurs?
Absolument, ils ont plus d'asthme et font beaucoup plus de bronchites
récurrentes. En ce qui concerne l'asthme d'effort, diagnostiqué suite aux
tests et non basé sur les réponses aux questionnaires, on passe de 11pc
parmi la population générale de l'échantillonnage à 23,3pc parmi les
anciens bébés nageurs. Quant aux bronchites récurrentes décrites par les parents, elles passent de 37pc à 60pc. On ne peut donc pas dire que la
pratique des bébés nageurs est saine.
Comment peut-on expliquer l'apparition de ces lésions?
Cette observation est tout à fait logique dans la mesure où les poumons
sont en plein développement jusqu'à l'âge de six ou sept ans. Or, ils ont
maximisé l'exposition lors des séances de bébés nageurs où ils sont
carrément plongés dans l'eau. Dans les premiers mois, il y a un réflexe de fermeture des voies respiratoires qui fait qu'ils sont alors bien imprégnés de tous ces produits.
Les enfants atopiques (présentant une prédisposition) sont-ils encore
davantage concernés?
Oui, chez ces enfants la trichloramine semble agir comme un adjuvant et
favoriser l'apparition de l'asthme.
Jusqu'à quel âge le risque est-il particulièrement important?
Le risque est surtout important avant l'âge de six ou sept ans, années
vers lesquelles l'épithélium arrive à maturation. Or les enfants
fréquentent les piscines de plus en plus jeunes. Comme ils ne savent pas
nager, ils se retrouvent dans des petits bassins qui sont chauds, donc
fort pollués au niveau organique, raison pour laquelle les taux de
trichloramine sont toujours plus élevés - jusqu'à 50pc - au-dessus des
petits bassins. Ils maximisent donc l'exposition.
Vous déconseilleriez donc de fréquenter les piscines au chlore avant un certain âge?
Oui, en tout cas la pratique des bébés nageurs et pour les enfants qui ont
des antécédents. Pour les enfants plus grands, qui ne sont pas atopiques,
il faut s'assurer que la piscine est conforme. Le risque professionnel
pour les maîtres nageurs n'est pas non plus négligeable. Cela dit, 75pc
des personnes qui fréquentent les bassins de natation ne sont pas
concernés par ce problème.
Et qu'en est-il de l'usage domestique du chlore?
Paradoxalement, nos études ont démontré que, dans les familles où le
chlore était utilisé à la maison, les enfants présentaient moins d'asthme.
On pense que ceci est lié au pouvoir nettoyant de l'eau de Javel qui
détruit les allergènes.
D'autres études sont-elles en cours?
Oui, nous allons comparer les piscines cuivre-argent et les piscines au
chlore et mesurer les problèmes de rhinites, les affections cutanées et
les éventuelles pathologies liées au système reproducteur.
Les piscines cuivre-argent constituent-elles une solution envisageable?
Si cette solution est coûteuse lors de l'investissement, elle ne l'est pas
dans la gestion. Dans les piscines au chlore, il faudrait idéalement
renouveler l'air, qu'il faut chauffer à deux degrés de plus que l'eau, de
six à 8 fois par heure, ce qui n'est jamais le cas. Si on fait le calcul
du coût énergétique, c'est intenable. En adoptant un système cuivre-argent
ou une autre alternative, on évite ce problème de ventilation. Or il faut
absolument contrôler et ventiler, sinon ce gaz, que l'on ne peut mesurer
en continu, s'accumule inévitablement.